Le 16 novembre 2024, pendant le weekend du salon du livre gourmand de Périgueux, et alors que les manifestations des agriculteurs à l’hiver 2024 reprennait de l’ampleur avant la signature du traité Mercosur, la ville de Périgueux a organisé une rencontre-débat « Le modèle de l’agro-alimentation, On le tue ou il nous tue ? » avec deux personnalitées connues sur cette thématique :
– Laure Ducos ex-cheffe de projet Greenpeace
– Amélie Poinssot journaliste Médiapart et autrice de « Qui va nous nourrir ? Au cœur de l’urgence écologique, le renouveau paysan »
Retranscription de la Conférence :
On a regardé toute la publicité que fait Interbev. Interbev c’est l’interprofession des viandes rouges donc qui défend une filière qui en France est critiquable à certain égard mais quand même relativement durable car en France les viandes bovines sont beaucoup à l’herbe, beaucoup en plein air, ce qui n’a rien à voir avec le porc industriel ou les poulets industriels français. Mais en tout cas, ils défendent une filière qui est pour moi une des moins problématiques. Sauf qu’ils font un gros travail de communication, notamment auprès des plus jeunes, pour donner toute envie de consommer de la viande.
Et entre 2016 et 2019, et je m’arrêterai avec ce chiffre qui pour moi dit beaucoup, entre 2016 et 2019, ils ont investi des centaines de milliers d’euros, voire des millions, ils ont budget une communication annuelle de 20 millions d’euros annuelles, et ils ont investi des centaines de milliers d’euros pour communiquer auprès des enfants dans les cantines scolaires. Et il y a eu un demi-million d’enfants touchés par la communication d’Interbev entre 2016 et 2019 directement dans les cantines scolaires. C’est-à-dire que maintenant, ils ont des programmes pour aller dans les écoles et un prof, une prof, une institutrice peut, en trois clics sur Internet, réserver une sortie à la ferme dans un élevage pour aller voir comment ça se passe.
Et alors c’est formidable que les enfants puissent voir la réalité du métier et qu’on arrête cette déconnexion avec le métier. Sauf qu’ils ne disent pas tout. Ils ne disent pas tout.
Et c’est ça que je reproche. C’est très bien d’aller sur le terrain et de voir la réalité des élevages, mais il faut aussi raconter derrière ce qui se passe. Il faut aussi parler du soja qu’on importe et qui détruit des forêts.
Il faut aussi parler des antibiotiques qu’on donne, qui est un vrai impact sur notre santé. On a besoin de parler de tout ça.
– Alors vous Amélie Poinssot, Il y a beaucoup des femmes agrciultrice, il y a un mouvement, et c’est tant mieux. Je m’imagine que les propos de Laure Ducos résonnent à vous, parce que je pense qu’ils sont confrontés, évidemment, à ce poids des lobbies, de la difficulté aussi de s’installer, d’avoir des aides. Entrons un peu plus en prenant peut-être des exemples, parce que Laure parlait du porc, par exemple.
– Moi, j’ai rencontré, dans les profils que j’ai rencontrés, parce qu’effectivement, je suis allée beaucoup sur le terrain, à la rencontre de ces gens qui s’installent, qui sont soit en amont de l’installation en agriculture, donc qui sont dans le parcours formation, recherche de terres, recherche de fermes, ou recherche de partenaires pour monter un collectif, etc. Et puis des gens à des stades plus avancés, de reprise d’une ferme, le moment de la transmission entre ce qu’on appelle le cédant et les repreneurs, et puis des personnes qui sont déjà un peu plus installées avec 2-3 ans de recul. Donc il y a toutes les étapes un petit peu de ce cheminement.
Et je suis allée au contact de différentes filières de production. Les gens que j’ai rencontrés font toutes sortes de choses différentes. Et donc côté élevage, c’est pas tant élevage porcins qu’élevage au vin et bovins. Je suis allée voir des éleveurs de brebis et des éleveurs de vaches notamment.
Et où en fait, moi, tous les gens que j’ai rencontrés, c’était pas forcément volontaire à la base, mais il se trouve que c’est les gens que j’ai trouvés, sont tous préoccupés par la question climatique et la question de la biodiversité. Voilà, c’est cette génération qui s’installe aujourd’hui en agriculture, elle a ça vraiment chevillé au corps.
Pour certains, c’est même aussi une des raisons, enfin ça a été des prises de conscience écologiques qui font qu’ils vont vers ce secteur-là pour produire justement des produits de façon cohérente avec ce qui nous entoure. Et donc pour ce qui est des éleveurs, du coup, certains m’ont clairement dit, enfin oui tous en fait, qu’ils veulent surtout pas être dépendants justement du soja et du maïs importé. Et donc ils font avec les ressources existantes sur leur ferme.
Donc ils adaptent la taille des cheptels aux hectares dont ils disposent. Ils essayent notamment, alors là je pense à Mathilde et Patrick, un couple que j’ai rencontré sur le Larzac, qui eux en plus font quelque chose, y compris sur le Larzac, où on a toujours été quand même assez hyper progressistes et hyper alternatifs. Ben voilà, eux-mêmes ils vont encore plus loin que les gens qui les entourent en exploitant avec leur brebis les boisements, en fait ils font ce qu’on appelle des parcours avec leurs animaux, qui sont pas ce qu’on fait de manière classique, ils vont dans des endroits où il y a aussi de la ressource qui était un petit peu à l’abandon.
Et ce qui permet aussi en été, ça c’est aussi le discours de Morgane en Loire-Atlantique, de mettre aussi les animaux à l’ombre, parce que les animaux souffrent aussi de plus en plus du changement climatique. Donc il y a vraiment une recherche de cohérence entre le défi climatique et ce qu’on peut faire concrètement sur la ferme où on se trouve.
– Alors c’est vrai que là Laure du coup, il y a cette question que vient aborder à l’instant Amélie, ce mal-être, c’est un des chapitres de votre livre, et à la fois, pour mieux comprendre, peut-être entraîner un peu plus encore au cœur de la problématique, c’est comment finalement il y a une myriade d’organisations, mais une poignée finalement d’acteurs de puissance, c’est l’un des chapitres de votre livre, et comment finalement le complexe aussi agroalimentaire contrôle les terres et les machines, et puis la question qu’abordait à l’instant Amélie, c’est le mal-être des producteurs lié au dérèglement climatique, lié, et puis à l’effondrement de la biodiversité, qui est au cœur du problème.
– Ce qui est à la fois tragique et à la fois apporté en espoir, c’est que l’agriculture, elle est à la fois un facteur de dérèglement climatique, et d’effondrement de la biodiversité, en tout cas certaines agricultures.
Pas toutes. Pas toutes, heureusement. Mais quand même, enfin il faut dire, même un élevage bovin à l’herbe extrêmement durable, en soi, d’un point de vue biodiversité par exemple, il émet du méthane, et c’est quand même un des premiers gaz à effet de serre dans l’agriculture, donc on a quand même un sujet.
Et l’agriculture et le changement des terres est le premier facteur d’érosion de la biodiversité au monde, et aujourd’hui on a, il y a une étude du CNRS qui est sortie relativement récemment, qui montrait qu’on a perdu un tiers des oiseaux affiliés aux zones agricoles. Un tiers, du fait de la fragmentation des habitats, et du recours massif aux pesticides, qui tuent les insectes, et donc qui fait que les oiseaux n’arrivent plus à se nourrir. On a perdu 80%, c’est une estimation par la scientifique, de 80% des insectes, notamment volants, en Europe, du fait de l’agriculture intensive.
Et en même temps, l’agriculture, elle est victime de ça, puisqu’en fait les pollinisateurs permettent de polliniser, par définition, certains produits. Notre alimentation dépend de la pollinisation, en tout cas de certaines cultures, et d’un point de vue climatique, l’agriculture émet beaucoup de gaz à effet de serre, en gros l’alimentation c’est un quart des émissions de gaz à effet de serre des français et des françaises. L’agriculture, si on prend que le secteur agricole et pas toute l’alimentation, en gros on émet autant que le secteur de l’industrie, que les industries.
On est moins que les transports, les transports c’est 31% de gaz à effet de serre, 31-32%, l’agriculture on est à 19%, Et donc elle est un facteur, et en même temps elle subit les dégâts. J’ai plein d’amis éleveurs agriculteurs, notamment par exemple dans le Tarn, qui est une des régions qui est touchée par la sécheresse, et en fait ils me disent mais on sait plus quoi faire, c’est-à-dire qu’ils aimeraient pouvoir même s’adapter, ils sont maraîchers en bio, sur une grosse ferme, productives, vraiment relativement intensives, mais tout en bio, sans aucun produit, etc. Mais en fait ils ne savent même pas comment s’adapter.
C’est bien le problème avec le changement climatique, avec le dérèglement, c’est que les événements climatiques extrêmes deviennent tellement intenses, mais tellement incontrôlables, tellement incontrôlables, tellement imprévisibles, qu’en fait ils ne savent même plus quoi faire pour s’adapter. Et donc en fait c’est dramatique, et c’est peut-être ça qui est une des clés qui fait que l’on va réussir à changer de système, peut-être, sauf qu’aujourd’hui, pour faire le lien avec l’actualité, les parlementaires ne sont pas en train de prendre la route d’un changement de système pour s’adapter à ces questions-là. Par exemple, arrêter de produire du maïs extrêmement gourmand en eau, en plein été, quand c’est là qu’il y a moins d’eau, par exemple, et bien non, plutôt que de réfléchir à un changement de système qui permettrait qu’on ait plus de résilience au niveau agricole et donc alimentaire, on préfère construire des bassines notamment, et les bassines ne sont pas toutes problématiques, mais il y en a certaines qui le sont, on préfère aller stocker, pomper de l’eau dans les nappes phréatiques en hiver, pour ensuite mieux les utiliser l’été, pour détourner les réglementations qui, justement, servent à préserver l’état des nappes phréatiques.
Donc en fait, c’est très, très, très problématique, ce qui est en train de se passer.
– Et puis je parlais en effet du poids du système agro-industriel qui est en effet mené par quelques…
– Oui, peut-être qu’on peut parler des ABCD. Est-ce que vous connaissez les GAFAM ? Oui.
GAFAM, Google, Amazon, ça, en général, c’est connu. Est-ce que vous connaissez les ABCD ? Non. Moins connu. Les ABCD, c’est les GAFAM de l’agro-industrie. En gros.
ABCD, c’est ADL, donc A pour ADM (Archer Daniels Midland), B pour Bunge, ça se dit Bunguy, C pour Cargill, et D pour Dreyfus, Louis Dreyfus Company, LDC, les poulets Loué, etc. Bref, donc c’est des grosses entreprises que la plupart des gens ne connaissent pas, ni l’acronyme ABCD, ni les noms que je viens de citer, la plupart sont inconnus, en tout cas pour les consommateurs qui ne sont pas du milieu agricole, et sauf qu’en fait, ces ABCD détiennent entre 75 et 80% du marché mondial des céréales. Environ 80% des céréales dans le monde.
Les céréales, c’est-à-dire la base de l’alimentation du monde entier. Et ça, c’est très problématique. Il y a aussi un sujet que j’aborde un petit peu dans mon livre, mais comme c’est encore les prémices de ce domaine-là, il y a des analyses, je m’y suis pas attardée, mais c’est la question du big data, la question du numérique, la question de qu’est-ce qu’on fait des données récoltées par les milliers et des milliers d’agriculteurs dans le monde quand ils utilisent des GPS, certains robots, pardon, je refais ma phrase dans l’autre sens pour être plus claire.
Aujourd’hui, les agriculteurs ont de plus en plus recours au numérique. Alors en France, ils sont assez réfractaires, mais aux Etats-Unis, ils l’utilisent vraiment de plus en plus. Et qui détient, qui ensuite peut récupérer les données qui sont sur les appareils utilisés par les agriculteurs ? Eh bien, ce sont les fabricants de machines agricoles.
Et donc notamment, il y a certains fabricants qui sont des multinationales, qui sont très puissants dans le monde, qui aujourd’hui sont capables de dire en temps et en heure, de récupérer en temps et en heure, des données de productivité des champs agricoles, notamment aux Etats-Unis. Et ce qui permet quoi ? Ce qui permet à des traders sur les marchés financiers de spéculer en temps réel et donc de savoir où est-ce qu’on est la production. Et ça, c’est très dangereux d’une part parce qu’ils spéculent, mais ensuite parce qu’imaginez si demain, on a une puissance américaine qui sait en temps et en heure où on est la production des céréales françaises.
Vous imaginez le pouvoir politique qu’elle détient si elle sait en temps et en heure quelle est la capacité de se nourrir d’un pays. Et donc en fait, ça c’est des choses qui sont en train d’émerger. Il y a de plus en plus de chercheurs qui s’intéressent à cette question-là et qui posent de grosses, grosses questions de souveraineté finalement.
– Alors Amélie Poinssot, je disais en effet, on s’était vu il y a quelques mois à Montpellier à la comédie du livre, on avait parlé de votre livre. Et on voit ce qu’il abordait un peu Laure à l’instant, c’est que chaque fois, ces lois qui sont poussées, la reconduction du glyphosate, il y a eu ça pour dix ans, le coup d’arrêt européen, la baisse des pesticides. On se dit finalement, on va continuer. La loi agricole pour le renouvellement des générations qui a été repoussée constamment, pour rebondir sur les propos Laure.
Et ça, en rencontrant ces agriculteurs, j’imagine qu’ils vous parlent de ça et que c’est au cœur un peu de problème pour celles et ceux qui veulent…
– Oui, oui. Alors pour préciser, le livre, il est sorti début février. Et donc, il est parti à l’imprimerie fin décembre, début janvier, juste avant la colère agricole.
Donc évidemment, cette colère agricole, elle vient pas de nulle part. Et donc, notamment, ce que je disais au début, ce sentiment aussi d’être devenu complètement minoritaire dans la société. Cette réalité, c’est pas simplement un ressenti, c’est une réalité.
Pour moi, c’est aussi au cœur de cette colère et cette distanciation aussi entre le monde agricole et le monde des villes. Ce sentiment d’être incompris, voilà. Mais après, pour revenir sur la question du moment politique dans lequel on est.
Et là, j’y étais pas au moment de la sortie du livre encore, parce que pour moi, il y a vraiment un ensemble de choses, là, depuis un an, qui font que là, pour moi, on est rentré dans une séquence qui va nous faire reculer sur les questions écologiques et environnementales. Il y a eu déjà, à la fin de l’année dernière, la reconduction du glyphosate. Et au niveau européen, cette tentative complètement avortée de voter, en tout cas au Parlement européen, un plan ambitieux de réduction des pesticides.
Et puis là-dessus arrive la colère agricole. Tout ça, en fait, était aussi orienté parce qu’il y avait justement les élections européennes qui approchaient la colère agricole. Elle n’a pas eu lieu qu’en France.
Elle a éclaté d’abord en Allemagne et encore avant aux Pays-Bas. Et il y a plein d’autres pays aussi où il y a eu des manifestations. Et il y a clairement une opposition de ce monde-là, en tout cas de la part des syndicats dominants du monde agricole, puisque tous les syndicats ne sont pas alignés loin de là, contre les mesures environnementales, ce qu’ils appellent les normes.
Ce rejet des normes, il est effectivement très fort. Et pour l’instant, c’est eux qui ont gagné la bataille. Et c’est eux qui ont gagné la bataille aussi parce qu’il y a des intérêts économiques très importants derrière.
Et là, je rejoins ce que disait Laure, notamment sur le côté entreprise phytosanitaire. En fait, l’Allemagne, la chimie allemande est très puissante. L’Allemagne est le pays qui défend sans doute le mieux ses intérêts économiques au niveau européen.
Et donc, il est quand même très, très dur d’aller contre le rouleau compresseur de l’agrochimie. Et donc, à la fois, ces manifestations agricoles, mais aussi le travail des lobbies derrière ces manifestations, elles avaient un petit côté spontané, mais elles avaient aussi un côté très organisé et très repris en main par les syndicats. Et puis là-dessus, nous, en France, on a eu, ce que vous savez bien, les élections législatives anticipées et ensuite un gouvernement qui ne correspond pas du tout aux résultats des élections.
Et du coup, on reste dans ce moment politique complètement dingue et où les intérêts des agriculteurs, en tout cas de la frange dominante, encore une fois, vont être préservés parce qu’on a trop peur de ce qui va se passer au prochain scrutin. Et donc, cette loi agricole, pour terminer là-dessus, qui a effectivement été suspendue, elle a été votée à l’Assemblée nationale au printemps. Elle a été suspendue du fait de la dissolution.
Elle va reprendre son cours au mois de janvier 2025 au Sénat, probablement dans une version qui ne va pas beaucoup bouger, si ce n’est que si ça bouge, ce sera pour encore plus lever des normes environnementales. En tout cas, on est dans ce moment-là. Et puis, je le crains, ça va durer un petit peu.
– Je pense à la question des relations avec le Mercosur.
– Et puis Amélie parlait du rapport de force par rapport à des pays comme l’Allemagne. Et en fait, en ce moment, il y a eu de gros débats sur le Mercosur, donc un accord de libre-échange entre l’Europe et certains pays d’Amérique latine.
Et en fait, ce qui se passe, c’est qu’on est dans un rapport de force compliqué avec des pays comme l’Allemagne. C’est-à-dire qu’en Europe, là, aujourd’hui, le gouvernement français annonce qu’il ne veut pas signer le traité du Mercosur en l’état. Il ne s’y oppose pas en soi, mais il a une telle pression du monde agricole et des parlementaires français qu’il veut s’y opposer.
Notamment parce qu’il y a une lettre qui est sortie il y a quelques jours de 600 parlementaires français. Donc 600 députés, sénateurs, sénatrices et eurodéputés. Et donc ils disent, ils demandent à Ursula von der Leyen… — La droite jusqu’à la gauche.
— Oui, merci. Si on a 600, c’est qu’ils sont transpartisans. Mais merci de le signaler.
C’est vraiment de tout bord. Plus à gauche, plus à droite, les partis politiques s’opposent à ce traité libre-échange. Et donc Emmanuel Macron n’a pas trop le choix.
Il est en ce moment en visite en Amérique latine. Et il demande à la Commission européenne de revoir sa copie pour mieux protéger les agriculteurs et notamment demander des clauses miroirs. C’est-à-dire qu’il ne puisse pas y avoir des produits importés qui soient produits avec des normes environnementales ou sanitaires plus faibles que ce qu’il y a en France.
C’est le principe des clauses miroirs. Sauf que pour réussir à bloquer le Mercosur au niveau européen, il faut qu’il y ait au moins 4 États membres de l’Europe qui représentent au moins 30% de la population européenne, qui refusent le Mercosur, en tout cas l’état actuel du Mercosur, la version actuelle du Mercosur. Sauf que des pays comme l’Allemagne, qui pèse très lourd en termes de nombre d’habitants et donc d’un point de vue politique, en fait, elle, elle veut le Mercosur.
Parce que l’Allemagne a un modèle agricole qui est quand même beaucoup plus productiviste que la France. C’est-à-dire que leurs petites fermes sont plutôt du niveau de nos plus grosses fermes. Enfin, je ne sais pas si autant le ratio est aussi fort, mais en tout cas, je sais que quand on discutait entre Greenpeace France et Greenpeace Allemagne, on avait des gros enjeux pour se mettre d’accord, parce que leur vision du monde agricole paysan n’est pas du tout la même qu’en France.
Et donc, ils portent une vision du Mercosur qui n’est pas du tout celle de l’État français. Et donc là, c’est un endroit où, finalement, et ça, c’est aussi une chose qui me donne espoir, c’est que peut-être qu’au lieu de se tirer dans les pattes, finalement, entre écologistes, agriculteurs productivistes, etc., eh bien, il y a certains combats sur lesquels on peut s’unir et qui peuvent faire du bien à l’écologie, à la santé et à l’économie des agriculteurs, à condition, et ça, c’est un point que je souligne dans mon livre parce qu’il me tient très à cœur, à condition qu’on n’ait pas un discours hypocrite comme celui, je ne sais pas si on a qui travaille, mais de la FNSA. Parce que la FNSA, ce qu’elle veut, ce n’est pas arrêter les imports-exports, elle veut continuer à exporter tout ce qu’elle veut, mais arrêter d’importer ce qui ne lui convient pas.
Et en fait, ça, c’est problématique. Et moi, ce que j’aimerais, c’est qu’on puisse mettre en place des accords commerciaux qui protègent les agriculteurs français et qui protègent les agriculteurs du monde entier.
– Il faudrait mettre d’accord, collectivement, au niveau, déjà, français, et puis au niveau européen.
Amélie, peut-être, une réaction peut-être au propos, et justement, par rapport à cette dimension, justement, ce poids de la voix du pays ?
– Oui, pour poursuivre ce que dit Laure. Moi, j’ai une approche aussi très, très critique de la FNSA. Et au-delà de, effectivement, certaines attitudes qui peuvent être un petit peu hypocrites, comme tu disais, ou pas très franches, il y a aussi, par rapport au sujet que j’ai creusé dans mon livre, une non prise en compte de toutes ces personnes qui, aujourd’hui, s’installent en agriculture sans en être issues, alors que c’est une chance, comme je le disais tout à l’heure.
Et la FNSEA, et aussi les chambres d’agriculture, n’ont jamais été très aidantes envers cette population-là, préférant, en fait, le maintien de la population agricole issue du milieu agricole. Et aujourd’hui, en fait, les associations qui aident, parce qu’en fait, il y a des associations qui aident et qui accompagnent tous ces nouveaux profils, sont, pour beaucoup, des associations liées à la Confédération paysanne, qui, depuis déjà une quinzaine d’années, a bien vu cette bascule sociologique qui était à l’œuvre. Et aujourd’hui, la FNSA et les chambres d’agriculture, d’ailleurs, le président des chambres d’agriculture me l’a reconnu, enfin, je l’ai interviewé, il l’a reconnu lui-même, en disant que, voilà, jusqu’à présent, ce n’était pas le travail des chambres d’agriculture que d’aider ces gens-là.
Ce qui est un petit peu fou, quand on voit aujourd’hui que 40%, en fait, des personnes qui s’installent en agriculture ne le font pas dans un cadre familial, ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas du tout issus du milieu, mais en tout cas, c’est un des chiffres qu’on a, parce qu’on manque encore de statistiques précises. Et puis, 60% des personnes qui, aujourd’hui, se rendent dans les chambres d’agriculture pour prendre des renseignements et commencer éventuellement un parcours d’installation, 60%, donc, ne sont pas issues du milieu. Donc, c’est énorme.
Ça ne veut pas du tout dire qu’elles vont aller jusqu’au bout du parcours. C’est, en fait, juste un premier point de ce qu’on appelle le point accueil installation des chambres, où là, quand même, on enregistre un petit peu qui sont les personnes qui se présentent. Et donc, voilà, c’est énorme.
Donc, en fait, il y a une vraie politique publique à mener, parce que c’est des gens qui ont besoin de beaucoup plus d’accompagnement et de formation que les gens qui sont issues du milieu. Parce que quand on n’a pas grandi sur une ferme, évidemment, on a beaucoup plus de choses à apprendre. Il y a tout un apprentissage à faire.
Et surtout, après, la question des terres, de l’accès aux terres. Et c’est là où les SAFER, aussi, ont un rôle important. Et les SAFER comme les autres organismes. Les SAFER ce sont des organismes qui régulent le foncier agricole et qui ont une délégation de mission publique. Qui ont été créées dans les années 60. Dans ce moment, aussi, de grande politique structurante pour le secteur agricole.
Et donc, lorsqu’il y a des terres agricoles en vente, à vendre, en fait, on peut présenter un dossier de candidature pour les acheter, les acquérir. Et c’est la SAFER qui va trancher s’il y a plusieurs candidatures. Et généralement, elle va privilégier l’agrandissement d’une exploitation existante.
Quelqu’un issu du milieu, un schéma économique qui est déjà en place, qui fonctionne, etc. Plutôt que l’arrivée d’un nouveau, d’une nouvelle qui, en plus, s’il n’est pas issu du milieu, et si, en plus, il n’est pas issu du coin, bref, il part avec beaucoup, il ou elle part avec beaucoup d’agricoles. Même si, localement, on pourra toujours trouver des contre-exemples.
Et la SAFER, elle met souvent aussi en avant. Il y a quand même, heureusement, des projets alternatifs ou des projets non issus du milieu qui parviennent à émerger. Mais, encore trop souvent, c’est ce que je dénonce dans mon livre, trop souvent, on va privilégier l’existant.
Or, voilà, c’est ce qu’on vous dit depuis le début avec Laure, justement, cette agriculture, elle a besoin d’opérer une transition, de se réformer, d’aller vers des pratiques beaucoup plus écologiques. Et il se trouve que ce sont les nouvelles générations qui, vraiment, poussent la porte beaucoup plus. C’est difficile aussi, il faut le reconnaître, pour quelqu’un qui est en fin de carrière ou même en deuxième moitié de carrière, de changer complètement le modèle économique de sa ferme. Donc, il y a ça aussi qui est compliqué.
Il faut qu’il y ait de l’argent, oui. Et c’est beaucoup plus facile, entre guillemets, pour quelqu’un qui démarre, de se mettre tout de suite dans un modèle plus vertueux et plus écologique.
Alors, avant qu’on passe la parole au public pour des questions, des remarques, des réflexions, je crois qu’il y a un autre débat à 11h, on est un peu… Mais, peut-être, je ne sais pas, c’est pas évident, on allait me dire, il y a un chapitre dans votre livre qui est s’extraire de l’affluence de l’agro-industrie. Vous proposez des idées, des solutions. Peut-être, je ne sais pas, une ou deux, comme ça, pistes d’espoir de sortie de ce modèle.
Oui, il y a une proposition qui est mise sur la table, qui est portée par la Confédération Paysanne, qui a été initiée par Réseau Salariat et par Ingénieurs sans Frontières AgriSTA. Donc, peu importe le nom, mais en tout cas, des structures qui se posaient la question de la transformation du modèle agricole. Et c’est une idée qui a convaincu la Confédération Paysanne, parce que sa responsable se disait, mais en fait, ça fait des décennies qu’on essaie de changer le modèle agricole, en passant par la question de la transformation des subventions, en passant par une opposition à la FNSA, en passant par un changement des politiques publiques, et on n’y arrive pas.
En fait, au bout d’un moment, il faut accepter qu’on est face à un mur et qu’on n’arrive pas à transformer la production agricole. Donc, ils se sont dit, OK, comment est-ce qu’on peut arriver à changer les choses par l’autre bout de la chaîne alimentaire, c’est-à-dire par l’assiette. Parce que ce que la Confédération Paysanne a réalisé, c’est que parfois, ils arrivent à installer des agriculteurs et des agricultrices, après un long chemin, dont parfois, semé d’embûches, dont parlait Amélie.
Et sauf qu’en fait, parfois, quand bien même ils arrivent à les installer, les agriculteurs, les agricultrices vont jusqu’à produire, vont sur les marchés et mettent en vente leurs produits absolument incroyables, et il n’y a pas d’acheteurs. Et il n’y a pas d’acheteurs en face parce qu’en fait, c’est des produits qui coûtent plus cher que des produits agro-industriels. Forcément, ça coûte plus cher à produire quand on se passe de pesticides.
Et donc, ils ne se retrouvent pas d’acheteurs parce qu’en fait, il y a un gros sujet lié à l’inflation, lié au pouvoir d’achat, qui est qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de personnes qui utilisent l’alimentation comme une variable d’ajustement. Alors que le logement, c’est plus compliqué. La fracture d’électricité, il faut la payer.
L’alimentation, il y a une certaine limite qu’on peut toujours rognier. Et donc en fait, ces paysans, ces paysannes se retrouvent coincés. Ce qui fait que la Confédération Paysanne, c’est à rejoindre l’idée de sécurité sociale de l’alimentation.
Donc la proposition de sécurité sociale de l’alimentation, c’est l’idée de se baser sur le modèle de la sécurité sociale, telle qu’elle était pensée à ses débuts, c’est-à-dire une structure dirigée par les travailleurs et les travailleuses, et non pas par le patronat, et qui, en fait, se baserait sur un thème de cotisation universelle. C’est-à-dire que l’idée, c’est de sortir de ce thème de stigmatisation des plus précaires. On donnerait, par exemple, des chèques solidarité aux plus précaires, et donc une personne précaire irait avec son chèque voir un producteur et lui aurait écrit « pauvre » sur son front.
C’est extrêmement stigmatisant. Et pour sortir de ça, il propose plutôt qu’il y ait un modèle qui concernerait tout le monde. Donc ce serait que l’idée que vous, vous, vous, moi, nous, on ait notre petite carte de l’alimentation (comme la carte vitale) et que tous les jours, on soit crédité d’environ 150 euros pour acheter des aliments.
Ces 150 euros, ils sortiraient d’où ? Ils sortiraient entre autres d’un système de cotisation universelle, c’est-à-dire que les personnes les plus aisées cotiseraient plus, les personnes les moins aisées cotiseraient moins. Donc ça permettrait de redistribuer finalement les finances, et pour que tout le monde puisse manger à sa faim. Mais il ne mangerait pas n’importe quel produit.
Et c’est là que la sécurité sociale, l’alimentation est extrêmement pertinente à mon sens, porteuse d’espoir et même révolutionnaire. C’est qu’en fait, elle dit ce n’est pas une élite, ce ne sont pas des scientifiques, ce n’est pas une élite politique, ce ne sont pas des experts associatifs qui vont dire, vous, vous devez manger ça, ça et ça, parce que c’est ça qui est bon pour la santé, croyez-moi. L’idée, c’est que les gens se mettent ensemble pour décider eux-mêmes de ce qu’ils veulent manger.
Par exemple, à Périgueux, vous pourriez dire nous, voilà une grosse production de canards ici, une grosse production de salade, excusez-moi, je ne connais pas bien la gastronomie d’ici, mais en tout cas, la tradition locale, vous pourriez choisir, les gens d’ici pourraient choisir ce qu’ils veulent soutenir avec 150 euros par mois, et donc se mettre d’accord sur ce qui est sain pour la santé, pour la planète, et qui soutient l’agriculture locale. Et ensuite, donc, on aurait ce modèle mis en place. Et ça, ce n’est pas juste une utopie, c’est déjà expérimenté dans des grosses villes et dans des territoires ruraux.
C’est accompagné par des étudiants, des scientifiques, des politiques, et donc ça fonctionne, en fait. C’est en train de fonctionner, et ça mélange toutes les classes sociales. Il y a même une proposition de loi qui a été mise sur la table il y a à peine un mois pour essayer de porter ce sujet.
Ça a été refusé. On n’en est pas encore là, vu l’état du Parlement aujourd’hui. Mais en tout cas, c’est une idée qui chemine, et qui, pour moi, est porteuse d’espoir.
– Un projet de communs, au pluriel, aussi ambitieux que nécessaire. C’est la sécurité sociale, l’alimentation, dont vous parlez dans votre livre. La rencontre avec ces agricultrices et agriculteurs, j’imagine qu’ils ont plein d’idées.
Vous Amélie, quelles sont, une piste, peut-être, d’amélioration possible, d’espoir, d’ouverture, vers un modèle différent ?
– Oui, tout à fait. Moi, j’ai rencontré des gens qui m’ont donné beaucoup d’espoir. Et puis après, je le pointe aussi dans le dernier chapitre de mon livre, il y a des perspectives, en fait, pour aider justement toutes ces personnes, parce que, encore une fois, pour s’installer sur une ferme, il faut du capital, et même quand on est ici du milieu, ça peut être compliqué.
Je raconte aussi l’histoire d’un fils de paysan qui cherche à reprendre la ferme de son père, mais qui ne parvient pas à la racheter, parce qu’ils sont 5 ou 6 frères et sœurs, et qu’il faut racheter des parts conséquentes aux oncles et tantes, et ça, ça se passe dans le nord, et dans le nord de la France, les terres sont très chères. Mais donc, pour faciliter l’accès aux terres, et pour installer toute cette relève, en fait, il y a plein de pistes possibles, il y a des organisations comme Terre de Lien, qui, en fait sont financés grâce à de l’épargne citoyenne donc tout un chaqun, sans être agriculteur on peut mettre de l’argent de côté, et ça permettra à cette organisation d’acheter des fermes et d’y installer des personnes, sans qu’elles soient
obligés de s’endetter et de devenir propriétaire. Elles ont un statut de fermier, de fermage, donc de locataire en fait des terres.
Et puis après l’autre opportunité qui se développe c’est le rôle des collectivités locales et des municipalités parce qu’il y a du foncier agricole partout , y compris même dans certaines grandes villes. Et donc là c’est la possibilité et je raconte quelques expérimentations et schémas qui fonctionnent comme cela où les maires ont mis à dispositiondes terres et cela permet notamment à des maraichers et maraichères de s’installer à moindre coût, mais vraiment à moindre coût, ils n’ont pas besoin de s’endetter, ils payent un modique loyer et c’est complètement vertue pour la commune par ailleurs.
Je précise que vos exemples sont pris dans beaucoup de région, c’est vraiment à l’échelon national, dans le nord, dans le sud, dans le centre, dans le sud-est.